
Editorial du « Monde ». Face à la tragédie provoquée par la conquête d’un tiers de l’Irak par l’organisation Etat islamique (EI) en juin 2014, l’exil forcé de plus de 120 000 chrétiens de Mossoul et de la province de Ninive, le massacre et l’enlèvement de milliers de yézidis et la mise en place d’un régime barbare, le pape François avait fait la promesse de se rendre en Irak. Alors que le pays vit toujours sous la menace de groupes armés – milices chiites et djihadistes sunnites – et reste confronté à l’urgence sanitaire liée au coronavirus, l’opiniâtreté du souverain pontife à honorer cet engagement force le respect.
Quatre ans après la fin de la guerre contre l’EI, le pèlerinage que le pape François a effectué du 5 au 8 mars de Bagdad à Mossoul, en passant par Nadjaf, Our, Erbil et Karakoch, est un geste bienvenu de solidarité et d’espoir. Celui-ci s’adresse aux chrétiens d’Irak, qui ont été décimés par des conflits successifs depuis l’invasion américaine de 2003, mais aussi à l’ensemble de la population irakienne. L’appel à la tolérance, au pluralisme, à la citoyenneté et à la justice qu’il a lancé aux responsables politiques et religieux du pays constitue un précieux relais pour ceux qui, en Irak, se battent, envers et contre tout, pour ces valeurs.
Les dizaines de milliers de manifestants qui ont défié, à Bagdad et dans le sud chiite du pays, durant des mois, dès octobre 2019, la répression des forces de sécurité et des milices chiites, au prix de plus de 600 morts, ne demandaient qu’à pouvoir vivre en paix et en sécurité dans un « Etat de tous ses citoyens », purgé du confessionnalisme politique, de la corruption, de la menace des groupes armés et des ingérences étrangères qui le rongent de l’intérieur. Alors que leurs revendications n’ont pas été entendues, et que la contestation couve toujours, la visite qu’a rendue le souverain pontife à l’ayatollah Ali Al-Sistani, la plus haute autorité chiite d’Irak, dans la ville sainte de Nadjaf, est une marque de respect envers celui qui s’est imposé comme leur plus influent porte-voix et soutien.
Renforcement de l’Etat de droit
Cette première rencontre du souverain pontife avec un haut dignitaire chiite honore également l’engagement de l’ayatollah Sistani envers la défense des minorités, le dialogue et la coexistence entre communautés. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Barham Saleh et du premier ministre Mustafa Al-Kadhimi, les gestes et les promesses se sont multipliés envers les communautés meurtries par la guerre contre l’EI et les manifestants. Le vote par le Parlement, le 1er mars, du projet de loi pour la compensation des survivantes yézidies réduites en esclavage par l’EI, ainsi que de toutes les minorités religieuses et ethniques victimes du groupe djihadiste, en est une concrétisation.
Malgré tout, dans cet environnement où l’autorité de l’Etat est minée par les groupes armés, les intérêts partisans étriqués d’élites prédatrices et les ingérences étrangères, les bonnes volontés seules ne suffiront pas. Aussi fort et symbolique qu’il soit, le message du pape François ne pourra porter ses fruits sans un engagement renouvelé et déterminé de la communauté internationale à accompagner l’Irak sur le chemin de la reconstruction et de la réconciliation nationale. Celui-ci passe par le renforcement de l’Etat de droit et de la démocratie, à commencer par le soutien à l’organisation d’élections législatives – prévues en octobre – qui puissent permettre l’expression libre des voix qui appellent au changement.
via LeMonde